Retour aux sources – Coup de coeur du jury

Très sollicitée, au vu de l’impact de mes interventions sur l’environnement, j’avais sillonné le globe en tous sens. Même si, le plus souvent, j’étais sous pression, voire complètement sous l’eau, j’aimais découvrir ces paysages, ces hommes et leurs cultures, si dissemblables d’un endroit à l’autre.

Un quotidien, serpentant comme un long fleuve tranquille, aurait pu séduire quiconque aspirait à la quiétude. Mais comment aller à l’encontre de ma véritable nature ? J’étais successivement dans la retenue, bouillonnante de vie, givrée par un vent de folie… Mon caractère changeant déboussolait, amusait, interrogeait. Il ponctuait chaque journée d’un relief unique.

Ce mouvement perpétuel présentait l’avantage de me fournir un prétexte pour refouler les interrogations gênantes qui remontaient régulièrement à la surface de ma conscience. J’offrais énormément, mais que recevais-je en échange ? N’étais-je pas utilisée, plus que considérée ? Où était allée l’alchimie si manifeste dans ma jeunesse, celle des idées qui germaient aussi vite que les premiers jets fleurissaient, où tout était fluide et prenait vie aussitôt ? Je composais aussi avec d’autres résurgences plus insidieuses encore. Qui étaient mes géniteurs ? À quoi ressemblaient-ils ? Qu’était-il advenu pour qu’ils me laissent expérimenter ce vaste monde, dès ma naissance, sans plus se soucier de moi ?

J’ignorais délibérément ces pollutions perturbatrices pour éviter de remettre en question les fondements de mon existence. Il fallait pourtant me rendre à l’évidence. Ce désintérêt volontaire était à l’origine d’un malaise persistant et grandissant, qui érodait graduellement ma relation avec les hommes.

Une intuition me soufflait que le passé m’apporterait des réponses. Malheureusement, je ne disposais que d’informations relativement vagues. Mes parents m’avaient laissé des frères et sœurs, disséminés aux quatre coins de cette planète. Ils m’arrivaient de les côtoyer, sans toutefois pouvoir prétendre que nous étions proches. Il n’existait qu’une unique exception : ma jumelle. Elle m’accompagnait partout, à travers vents et marées. J’affectionnais sa nature douce. Elle constituait un don tombé du ciel pour tous ceux qui la côtoyaient.

Nous étions ensemble lorsque le changement s’opéra subrepticement en moi. Une impression de stagner, sur tous les plans, commença par s’imposer à moi. Par la suite, vint ce constat que j’étais seule au milieu de milliards de congénères, ces alter egos qui, paradoxalement, me ressemblaient comme deux gouttes d’eau, à s’agiter tous azimuts. Le brouillard dans lequel je dérivais se dissipa : d’abord, physiquement, à la minute où je ressentis un froid abyssal m’envahir, puis, émotionnellement, quand j’eus le sentiment d’avoir touché le fond.

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