CONTEXTE
Cette nouvelle a été écrite dans le cadre du concours de nouvelles 2024 organisé par le E. Leclerc de Blain (44130)
Les contraintes imposées : un maximum de 10.000 caractères et un choix parmi les thématiques suivantes :
- Phrase à compléter : Cette année fut particulière. Un jour, en sortant d’un magasin, j’ai trouvé sur le parking un étrange carnet rempli d’écritures…
- Thématique navigable : une histoire de bateaux sur le canal de Nantes à Brest.
J’ai choisi le premier thème…
Le livre d'Aladdin
Cette année fut particulière. Un jour, en sortant d’un magasin, j’ai trouvé sur le parking un étrange carnet rempli d’écritures… La couverture, bien que très abîmée, était joliment enluminée de volutes dorées et laissait apparaître un titre à demi effacé, au nom enchanteur : Livre d’Aladdin
Écorché et pâlot, il avait triste mine. C’est peut-être cette impression d’un compagnon abandonné qui me fit le prendre dans mes bras, pourtant déjà bien chargés.
J’avais rapidement mis de côté mes courses et ma culpabilité à fouiller dans l’intimité d’un autre, pour en parcourir les pages. « Je trouverai sûrement le propriétaire ainsi », pensai-je, pour me dédouaner. Je fus surprise de découvrir non pas une, mais plusieurs notes illustrées, écrites de mains aussi différentes que les pays qui leur semblaient associés :
, « धन्यवाद », « 谢谢 », « ⵜⴰⵏⵎⵎⵉⵔⵜ », « תודה רבה », « ありがとう », « СПАСИБО », « شكرًا », « Migouetch », « ΕΥΧΑΡΙΣΤΩ », « Faleminderit », « Terima Kasih », « Dankjewel », « nakummek » …
Après quelques recherches sur internet, j’en vins à la conclusion que tous ces messages pouvaient être traduits par « Merci ». Pourquoi toutes ces personnes avaient-elles coloré les pages de ce qui ressemblait à un carnet de gratitude ? À quoi faisaient-elles référence ? À qui s’adressaient-elles ? Ma curiosité n’avait d’égale que mon impatience. Et même s’il est coutume de le considérer comme un vilain défaut, je dois avouer que, sans ce trait de caractère, ma vie serait tout autre aujourd’hui. Ce soir-là, cependant, je m’endormis frustrée, avec plus de questions que de réponses.
Le lendemain, j’étais décidée à élucider le mystère qui enveloppait ce carnet. Je pris le temps de parcourir chaque détail, traduisant tout ce qui pouvait l’être dans un cahier spécifique. J’annotais également ce que m’inspiraient les dessins qui joignaient les messages et tentais, tant bien que mal, de trouver une signification à tout cela. Bizarrement, l’une des premières pages était noircie, comme si elle avait été brûlée.
« — Quel est ton secret ? », formulai-je à voix haute, tout en continuant à tourner les feuillets.
Je remarquai alors, tout au début de l’ouvrage, une inscription à laquelle je n’avais pas prêté attention jusque-là. Certains mots étaient effacés :
« Si vouloir est pouvoir,
Vous pouvez tout avoir.
Après … EUX
… VIS … Dieux
Méfiez-vous du dessein,
Il vous lie au destin.
Pour ne pas être jugé,
R…… est la clé. »
Que pouvait signifier cette prophétie ? Qui pouvait être désigné par « Eux » ? Quel était le rôle des Dieux ? Le titre, comme ces quelques lignes, m’intriguait, tout en me rappelant un conte célèbre. Était-ce une lampe magique sous forme de livre ? Devais-je le frotter pour qu’un de mes vœux se réalise ? À tout hasard, je récupérai un torchon pour le nettoyer, sans qu’il ne se passe quoi que ce soit. Il avait cependant retrouvé un peu d’éclat. Repensant à cet ami que je m’étais imaginé en le ramassant, ce fut comme s’il me souriait timidement.
Je réfléchis aux mots de la première phrase. Que risquais-je à formuler un souhait ? Le souvenir de ma grand-mère, décédée quelques jours auparavant, s’imposa dans mon esprit. J’aurais tant voulu qu’elle soit à mes côtés, pouvoir continuer à lui parler, percevoir sa voix et sa gaieté que j’aimais tant. J’essuyai une larme importune, traçant impunément son chemin sur ma joue.
« — Tu n’es pas seule. Tu ne l’as jamais été. » entendis-je alors, comme un murmure porté par le vent, suivi d’un rire enjoué que je reconnus immédiatement.
« — Mamina, si tu savais combien tu me manques, depuis que tu n’es plus là.
— Je suis à tes côtés, chaque seconde, pour partager tes joies et tes peines. Je continuerai de veiller sur toi, tant que tu m’accorderas une place dans ton cœur. »
Cette promesse apaisa la douleur de l’absence et je ressentis une profonde gratitude d’avoir pu percevoir sa présence silencieuse. Heureuse de cette communion avec mon aïeule, inspirée par les illustrations déjà existantes dans le carnet, je dessinai sur une page vierge un ange rieur, précédé d’un MERCI aux couleurs d’arc-en-ciel. Je refermai le recueil, le cœur de nouveau ouvert à la vie.
Le lendemain, je rangeai le livre d’Aladdin dans mon sac et sortis me promener. En passant devant un établissement proposant des jeux de hasard, je sentis une caresse, légère comme une plume, sur ma joue. Mue par une intuition subite, je décidai de me procurer un de ces tickets à gratter. Je pris connaissance, médusée, du gain de vingt euros inscrit sur la carte. Je remerciai une nouvelle fois le carnet et Mamina d’avoir œuvré pour moi.
Quelques mètres plus loin, je vis un homme tristement affublé de vêtements élimés, le regard perdu dans le vague. Je déposai l’ouvrage enluminé dans sa main tendue. Ce dernier me toisa :
« — Qu’est-ce que vous voulez que je fasse de votre bouquin ? Vous croyez que c’est ça qui va me sortir de là ?
— Ce n’est pas n’importe quel livre. Il peut réaliser vos souhaits », lui indiquai-je, bien que légèrement refroidie par son attitude.
Goguenard, il feuilleta le carnet et s’exclama en effectuant de grands gestes exagérés en direction du ciel :
« — Je demande à être riche !
« — Peut-être devriez-vous le regarder de plus près ? », insistai-je malgré moi, en espérant ne pas regretter ma bonne action.
« — Si vous le dites… », reprit-il, sceptique.
Ses yeux brillèrent d’une lueur intéressée lorsqu’il repéra le ticket que j’avais glissé à l’intérieur. Son sourire, à peine esquissé, disparu aussitôt après avoir lu la somme indiquée dessus.
« — On ne doit pas avoir la même conception du mot riche ! », reprocha-t-il narquois en jetant, plus qu’il ne le posa, le carnet à côté de lui.
Ce dernier s’ouvrit sur une feuille blanche. Un étrange brouillard en émergea et se mit à tourbillonner autour du sans-abri apeuré. Ce qui se passa ensuite reste encore confus dans mon esprit. L’homme disparut au profit d’une jeune femme aux habits orientaux, tandis que la page vierge se noircissait.
« — Vous venez de me libérer de cette prison, je vous en suis gré. », s’exclama-t-elle en me regardant, tout en réajustant ses vêtements froissés.
Elle s’interrompit devant mon air interrogateur et entreprit de m’expliquer :
« — Je suis l’épouse du sultan Shahriar. Avant de m’unir à lui, j’avais promis mon cœur à un autre. Le Mage noir de la cour, jaloux de son confrère à la magie blanche, profita de cette information pour se faire valoir auprès de mon mari. Ce dernier, ne supportant pas d’être tourné en ridicule, voulut me condamner à mort en invoquant l’infidélité. Il aurait exécuté sa sentence, sans l’intervention de Shéhérazade, une amie conteuse qui a su le charmer avec ses histoires. Sous prétexte de clémence, il livra mon sort à celui qui m’avait dénoncée. »
Elle soupira et secoua la tête, espérant sûrement chasser ses souvenirs. Replongée dans ce passé tumultueux, elle poursuivit :
« — Prenant l’apparence d’un djinn, il me tendit ce carnet envoûté et me proposa de faire un vœu. Je ne voyais aucune raison de ne pas lui faire confiance à ce moment-là. Je crus que je pourrais réaliser mon souhait le plus cher, mais en l’énonçant, je fus irrémédiablement prisonnière du livre, condamnée à exécuter toutes les demandes formulées à travers l’ouvrage, jusqu’à la fin des temps.
— Si vouloir est pouvoir, vous pouvez tout avoir » me souvins-je soudainement.
Elle hocha la tête, confirmant ainsi mon intuition, avant de continuer :
« — Ironie du sort, le sultan n’ayant qu’une confiance relative dans l’envoûtement de ce sorcier, fit appel à Aladdin, le Mage blanc, l’homme auquel mon cœur était destiné. Ne pouvant défaire le sort jeté sans recevoir l’opprobre des Dieux, il le contourna en ajoutant une condition libératrice : Après mille et un vœux, vous revivrez radieux. En demandant à communiquer avec votre grand-mère, vous étiez la mille et unième personne à énoncer une supplique.
— Dans ce cas, pourquoi êtes-vous restée prisonnière du livre ?
— Lorsque le Mage noir, furieux, se rendit compte de l’intervention d’Aladdin, il compléta de nouveau la formule. Son action eut pour effet de piéger tous ceux qui exprimaient un désir en liant leur destinée à la mienne.
— Méfiez-vous du dessein, il vous lie au destin.
— Il est impossible de défaire ce type de magie, qu’elle soit blanche ou noire. Il fallait donc une dernière personne, afin de réaliser les souhaits, à ma place, jusqu’à la fin des temps. C’est cet homme en colère qui a pris la relève, bien malgré lui, pour les mille et un prochains vœux. La page noircie en atteste. », indiqua-t-elle en levant les bras en signe d’impuissance.
« — Pourquoi n’ai-je pas subi le même sort ?
— C’est de nouveau grâce à Aladdin. Pour ne pas être jugé, remercier est la clé. Vous étiez remplie de gratitude lorsque votre souhait s’est réalisé. C’est ce qui vous a protégée. »
Elle récupéra le carnet, l’ouvrit sur une feuille blanche et énonça d’une voix ferme :
« — Si vouloir est pouvoir, vous pouvez tout avoir. Après mille et un vœux, vous revivrez radieux. Méfiez-vous du dessein, il vous lie au destin. Pour ne pas être jugé, remercier est la clé. Je te bénis de me permettre de vivre heureuse et à jamais aux côtés d’Aladdin. En formulant cette requête et en t’exprimant toute ma gratitude, je te libère d’un vœu. Tu sauras trouver les mille autres personnes pour accomplir ta destinée. »
Elle disparut en même temps que le livre magique, à mon grand désarroi. J’entendis alors un rire, reconnaissable entre tous. Mamina avait dû lire dans mes pensées, car son timbre résonna agréablement à mes oreilles pour me souffler : « Rappelle-toi le ticket gagnant… Tu n’as pas besoin de ça pour réaliser tes souhaits, juste de demander comme tu l’as déjà si bien fait. Souviens-toi : si vouloir est pouvoir, tu peux tout avoir. Remercier est la clé. »
Sophie Herrault – 06/2024
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